martes, 7 de mayo de 2013

La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, de Philippe Delerm

Philippe DELERM
Peintre des petits bonheurs du quotidien, Philippe Delerm accède à la notoriété grâce au succès phénoménal de La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, paru en 1997. Inspirés par la peinture impressionniste, ses écrits dénotent un goût prononcé du détail, du souvenir et de l’émotion prise sur le vif, un cocktail savoureux qui signe sa marque de fabrique et suscite l'enthousiasme de ses nombreux lecteurs. Ce fils d’instituteur, diplômé de lettres modernes et lui-même enseignant, envoie ses premiers manuscrits dès 1976 mais se heurte à des refus d'éditeurs, jusqu’à la parution discrète mais remarquée de La Cinquième Saison. L'engouement constant qui accompagne la parution de ses recueils de nouvelles lui permet d’abandonner l’enseignement et de vivre de sa plume. Plus attaché à son village de l’Eure qu’aux cercles parisiens, Philippe Delerm est parvenu à s’imposer comme un auteur renommé et populaire, considéré comme le chef de file d'une école littéraire minimaliste et humaniste. Grand amateur de sport, il a temporairement troqué sa plume contre un micro lors des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, pour commenter les épreuves d’athlétisme sur France Télévisions.

La première gorgée de bière.
C’est la seule qui compte.....Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu’un  empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir... Mais la première gorgée ! Gorgée ? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l’écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d’amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée ! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit : la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéal ; le bien être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut ; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini.....En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l’éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d’attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s’échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l’on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s’interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l’or pur, et l’enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l’alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C’est un bonheur amer : on boit pour oublier la première gorgée.

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